Recherche sur la nutrition en Guinée : Diffusion participative des résultats aux niveaux national et infranational
Teresa Schwendler Doctorante au Département des sciences nutritionnelles, Faculté des sciences de la santé et du développement humain, Université d'État de Pennsylvanie, University Park, États-Unis
Ramatou Hermine Sankhon Consultante basée à Conakry, Guinée
Mohamed Lamine Fofana Responsable du programme régional de supplémentation en vitamine A à Helen Keller International, Conakry, Guinée
Mamady Daffe Chef de la Division Alimentation et Nutrition, ministère de la Santé et de l'Hygiène publique, Conakry, Guinée
Stephen Kodish Professeur associé aux Départements des sciences nutritionnelles et de la santé biocomportementale, Faculté des sciences de la santé et du développement humain, Université d'État de Pennsylvanie, University Park, États-Unis
Nous remercions tout particulièrement les parties prenantes qui ont consacré du temps à partager leurs connaissances techniques avec notre équipe de recherche. Ce travail aurait été impossible sans le soutien du ministère guinéen de la Santé, du Fulbright U.S. Student Program et de Helen Keller International. Cette recherche a été financée par la Society for Research in Child Development, notamment grâce à la bourse Patrice L. Engle Dissertation Grant in Global Early Child Development.
Ce que nous savons : Les approches multi-sectorielles peuvent avoir davantage d’effets positifs en ce qui concerne l'amélioration de la nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant que les interventions uni-sectorielles. Depuis le lancement de la Politique nationale multisectorielle de nutrition (et de son plan stratégique) de la Guinée en 2019, la compréhension de son besoin d’opérationnalisation pour améliorer la nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant a été limitée.
Ce que cet article nous apprend : Cet article examine la manière dont l’approche participative utilisée pour diffuser les résultats d’une recherche sur la nutrition a permis d’accroître la mobilisation des parties prenantes dans l'identification des obstacles et des stratégies visant à améliorer la nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant en Guinée. Les résultats de recherche obtenus au niveau communautaire ont été partagés lors d'ateliers participatifs avec les parties prenantes nationales et infranationales en mesure de mettre en œuvre des programmes mieux ciblés dans les différents secteurs. Cette approche a favorisé la collaboration intersectorielle et facilité la hiérarchisation des stratégies d'intervention adaptées au contexte.
La prévalence du retard de croissance chez les enfants de moins de 5 ans est restée supérieure à 30 % en Guinée au cours de la dernière décennie (Global Nutrition Report, 2023). Étant donné que le risque de retard de croissance est le plus élevé au cours des 1 000 premiers jours de la vie – depuis la conception jusqu’au deuxième anniversaire de l'enfant – il est important d’utiliser cette fenêtre d’opportunité pour mettre en place des stratégies en matière de santé et de nutrition afin de favoriser une croissance et un développement sains (Victora et al, 2010).
Il a été constaté que les approches multisectorielles (figure 1) ont davantage d’impact positif sur les résultats en matière de nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant que les approches mises en œuvre par un seul secteur (UNICEF, 2020). Toutefois, ces approches ne constituent pas la norme dans les domaines de la nutrition et de la santé publique. Favoriser le partage de connaissances et les perspectives de partenariat entre professionnels de différents secteurs peut renforcer le potentiel de collaboration dans un pays faisant preuve de volonté politique pour améliorer sa situation nutritionnelle.
Figure 1 : Cadre d'action de l'UNICEFa

a Adapté de l'UNICEF (2020).
En 2019, le gouvernement de la Guinée a élaboré une Politique nationale multisectorielle de nutrition et un Plan stratégique correspondant. Ces documents décrivent les rôles et responsabilités attendus des organisations gouvernementales et non gouvernementales travaillant dans différents secteurs pour améliorer la nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant (ministère de la Santé et de l'hygiène publique, 2019). Au cours des trois années suivant le lancement de la Politique et du Plan stratégique, des éléments de preuve anecdotiques ont été recueillis concernant l'impact de la mise en œuvre d'interventions alignées sur la compréhension opérationnelle.
En 2023, nous avons réalisé une revue narrative systématique pour mettre en évidence la manière dont les programmes et les politiques ont utilisé les données probantes pour mener des programmes multisectoriels visant à améliorer la nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant en Guinée. Cet article décrit le processus participatif mené en décembre 2023, qui s'inscrit dans le cadre de cet effort de recherche. Nous avons présenté les résultats aux parties prenantes nationales et infranationales afin qu'elles nous fassent part de leurs commentaires et qu'elles formulent des recommandations sur les stratégies à mettre en œuvre pour améliorer la nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant en Guinée.
Méthodes
Conception de l’étude
Cette étude participative englobe la phase finale d'une étude itérative plus vaste, à approche mixte, conduite en plusieurs phases entre avril 2022 et décembre 2023 (Creswell, 2008). Les phases 1 à 3 ont été menées au niveau communautaire dans les zones périurbaines de Guinée. Sur une période de neuf mois, nous avons étudié ce que les nourrissons âgés de 6 à 9 mois mangeaient et comment ils étaient nourris, ainsi que les facteurs qui influençaient la diversité alimentaire de ces nourrissons. Lors de la phase 4, nous avons examiné de manière systématique les politiques et les documents relatifs aux programmes nationaux dans différents secteurs (alimentation, santé, eau, assainissement et hygiène [EAH], et protection sociale) afin de comprendre comment ceux-ci ciblent la nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant. Ensuite, nous avons échantillonné et interrogé des parties prenantes issues de différents secteurs, tant au niveau national qu'infranational, afin d'aider à contextualiser les résultats de notre revue documentaire (figure 2).
Figure 2 : Conception d'une étude itérative en plusieurs phases et cadre méthodologique

Enfin, la phase 5 a été conçue pour diffuser les résultats des phases 1 à 4 auprès des parties prenantes nationales et infranationales, et pour parvenir à un consensus sur les stratégies d'amélioration de la nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant dans le cadre d'ateliers participatifs.
Échantillonnage des participants
Les acteurs des secteurs de l'alimentation, de la santé, de l'EAH et de la protection sociale ont été sélectionnées avec l’aide du ministère guinéen de la Santé pour prendre part à un atelier participatif soit national soit infranational. L'échantillon final était composé d'un mélange de personnes ayant participé à la phase 4 et de nouveaux participants. Une approche basée sur des critères a été utilisée pour échantillonner un nombre égal de parties prenantes représentant chaque secteur et les entités gouvernementales et non gouvernementales. La taille globale de l'échantillon pour chaque atelier a été déterminée en fonction du nombre de participants à l'atelier jugé adéquat. Nous avons également défini la taille optimale du groupe de sorte que chacun se sente à l'aise pour exprimer son point de vue (Kodish et al, 2019).
Méthodes de collecte des données
Chaque atelier participatif consistait en deux parties. La première partie comprenait une présentation des résultats des phases 1 à 4. Les résultats résumés présentés dans cette première partie, tirés des phases 1 à 4 de cette recherche, sont recensés dans la figure 3.
Figure 3 : Principaux résultats des phases 1 à 4 présentés sous forme de messages-guides lors des ateliers
1. La plupart des personnes s’occupant d’enfants ont été classées comme étant en situation d’insécurité alimentaire modérée ou sévère à l’aide de l’échelle de mesure de l’insécurité alimentaire vécue. 2. Les nourrissons consommaient en moyenne deux groupes d’aliments par jour selon les indicateurs standard de l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant (WHO & UNICEF, 2021). 3. Les tabous alimentaires ont été identifiés comme un facteur de risque significatif pour le score de diversité alimentaire des nourrissons. 4. Les aliments importés pour nourrissons ont été indiqués comme étant ceux préférés par les personnes s’occupant d’enfants, mais ils ne contenaient qu’un seul groupe d’aliments. 5. La majorité des personnes s’occupant d’enfants alimentaient leur nourrisson de manière réactive (en réagissant aux signes de faim et de satiété de l’enfant), mais n’ont pas obtenu un score significativement plus élevé en matière de diversité alimentaire. 6. Les politiques et les programmes étaient multisectoriels, mais les parties prenantes ont indiqué que des problèmes de financement et de planification entravaient leur mise en œuvre. 7. Les programmes du secteur de la santé visaient à informer les personnes s’occupant d’enfants sur les régimes alimentaires sains, mais n’offraient pas l’aide alimentaire ou financière correspondante, indépendamment du niveau de sécurité alimentaire. |
La deuxième partie de l’atelier a utilisé la technique du groupe nominal pour établir un consensus entre les parties prenantes sur les principaux obstacles perçus et les stratégies suggérées pour améliorer la nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant en Guinée (Rushton et al, 2021). Deux consignes ont été données aux parties prenantes lors de chaque atelier. Tout d'abord, « réfléchissez aux principaux obstacles à la nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant, en vous basant sur la présentation des résultats de l'étude et sur vos connaissances concernant l'environnement actuel des programmes en Guinée ». Ensuite, « déterminez la manière de surmonter les obstacles les plus souvent invoqués pour améliorer la nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant dans différents secteurs au cours des cinq prochaines années en Guinée, en utilisant les ressources disponibles ».
Chaque atelier a suivi un processus en plusieurs étapes en utilisant la technique du groupe nominal (Dunham, 1998). Étape 1 : les participants ont formulé individuellement des idées en réponse aux deux messages-guides proposés. Étape 2 : en petits groupes composés de quatre à cinq participants issus de différents secteurs, les trois principaux obstacles à l'amélioration de la nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant ont été identifiés. Étape 3 : chaque petit groupe a fait part en séance plénière des trois principaux obstacles identifiés. À partir de cette étape, une liste d'obstacles a été établie et projetée dans la salle à l'attention de tous les participants. Étape 4 : chaque participant a voté de manière individuelle pour les trois éléments considérés comme principaux obstacles à l'amélioration de la nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant en Guinée. Le même processus en quatre étapes a été suivi pour parvenir à un consensus sur les stratégies proposées pour surmonter les principaux obstacles sélectionnés.
Analyse des données
Les discussions et les votes qui ont eu lieu au cours de chaque atelier des parties prenantes ont été consignés en temps réel par une personne chargée de prendre des notes. La synthèse des votes des participants a été effectuée à l'aide de statistiques descriptives simples et les votes ont été stratifiés par unités nationales et infranationales.
Résultats
Caractéristiques démographiques des participants
La plupart des participants aux ateliers étaient des professionnels de sexe masculin, représentant plusieurs secteurs (tableau 1).
Tableau 1 : Caractéristiques démographiques des participants

Résultats de l'atelier national
Obstacles
Lors de l'atelier national, les contributions des parties prenantes ont permis de dresser une liste de dix obstacles distincts à une nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant optimale (tableau 2).
Tableau 2 : Obstacles (les plus cités) à une nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant optimale au niveau national

Stratégies
Sept stratégies distinctes ont été recommandées pour s'attaquer au principal obstacle à la nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant au niveau national (sensibilisation insuffisante des membres de la communauté aux bonnes pratiques alimentaires) (tableau 3).
Tableau 3 : Stratégies d'intervention pour améliorer la nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant identifiées au niveau national

Résultats de l’atelier infranational
Obstacles
Lors de l'atelier infranational, six obstacles distincts à une nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant optimale ont été identifiés (tableau 4).
Tableau 4 : Obstacles (les plus cités) à une nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant optimale au niveau infranational

Stratégies
Six stratégies distinctes ont été recommandées pour surmonter l'obstacle le plus souvent invoqué au niveau infranational (manque de connaissances des personnes s’occupant d’enfants concernant les pratiques optimales d'alimentation) (tableau 5).
Tableau 5 : Stratégies d'intervention pour améliorer la nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant identifiées au niveau infranational

Enseignements
La réalisation de ce travail participatif de diffusion des résultats de la recherche en Guinée a permis de dégager trois enseignements essentiels.
Tout d'abord, les futures recherches visant à élaborer des stratégies d'amélioration de la nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant grâce à une approche participative pourraient bénéficier d'une démarche plus structurée sous forme d'ateliers. Bien que notre recherche ait produit des résultats fructueux, des logiques d'intervention plus étayées auraient pu être mises au point si une approche plus structurée de la réflexion avait été adoptée. L'une des stratégies permettant d'améliorer la structure de l'atelier consisterait à fournir aux participants un guide ouvert pour faciliter la formulation individuelle d'idées concernant les stratégies d'amélioration de la nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant. Le guide ouvert pourrait inclure des éléments de planification clés tels que les zones cibles, la population, le nombre de bénéficiaires, la manière dont l'intervention sera menée, le type d'intervention et la durée des activités (WFP, 2018).
Deuxièmement, au cours des ateliers, et en particulier au niveau infranational, il est apparu clairement que la communication intersectorielle sur le partage des responsabilités en matière de programmes liés à la nutrition était irrégulière. Outre l'élaboration de stratégies d'intervention, les réunions ont permis aux parties prenantes de répartir les responsabilités, d'échanger des idées et de nouer de nouvelles relations professionnelles intersectorielles.
Troisièmement, la technique du groupe nominal a permis d’adopter une approche structurée pour communiquer les obstacles communautaires à la nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant aux parties prenantes, qui peuvent ainsi mettre en œuvre des programmes plus ciblés dans chaque secteur. Bien que des approches ascendantes de l’élaboration des stratégies d'intervention soient fréquemment recommandées, elles ne sont pas toujours appliquées. La technique du groupe nominal peut être employée dans le cadre des ateliers participatifs avec les parties prenantes pour faciliter le partage des expériences des membres de la communauté. Cela peut favoriser l'élaboration de stratégies d'intervention adaptées au contexte, même lorsque l'on travaille avec des parties prenantes qui expriment des opinions divergentes. Dans notre cas, la technique du groupe nominal a également permis aux parties prenantes nationales et infranationales de transmettre les résultats à leurs entités respectives dans différents secteurs. Cela a permis de diffuser nos résultats à plus grande échelle.
Conclusions
Les ateliers participatifs avec les parties prenantes sont un outil utile que les chercheurs peuvent utiliser pour diffuser les résultats obtenus au niveau de la communauté auprès des personnes en mesure d'opérer des changements aux échelles nationale et infranationale. Depuis la fin de notre étude en décembre 2023, le gouvernement de la Guinée travaille à l'évaluation de la mise en œuvre de la Politique nationale multisectorielle de nutrition. Le gouvernement élabore également un nouveau Plan stratégique quinquennal de la santé de la reproduction, maternelle, néonatale, infanto-juvénile et adolescente et de la nutrition (SRMNIA-N) (ministère de la Santé, 2019). L'initiative SRMNIA-N rassemble des acteurs nationaux issus de différents secteurs. Parallèlement au Comité national multisectoriel du système alimentaire et nutritionnel, ces plateformes offrent une occasion idéale d'intégrer des approches multisectorielles pour améliorer la nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant.
Pour de plus amples informations, veuillez contacter Teresa Schwendler à l'adresse suivante : teresarose199@gmail.com
Références
Creswell J (2008) Research Design: Qualitative, Quantitative, and Mixed Methods Approaches. 3rd edition. SAGE Publications
Dunham R (1998) Nominal group technique: a users' guide. University of Wisconsin School of Business. sswm.info
Global Nutrition Report (2023) Guinea country nutrition profile. globalnutritionreport.org
Kodish S, Simen-Kapeu A, Beauliere J et al (2019) Consensus building around nutrition lessons from the 2014–16 Ebola virus disease outbreak in Guinea and Sierra Leone. Health Policy and Planning, 34, 2, 83-91
Ministère de la Santé et de l'hygiène Publique (2019) Plan Stratégique National Multisectoriel de Nutrition (PSNMN) 2019-2024. faolex.fao.org
Ministère de la Santé (2019) Plan strategique SRMNIA-N. Direction Nationale de la Santé Familiale et de la Nutrition. portail.sante.gov.gn
Rushton A, Elmas K, Bauer J et al (2021) Identifying low value malnutrition care activities for de-implementation and systematised, interdisciplinary alternatives: A multi-site, Nominal Group Technique approach. Nutrients, 13, 6, 2063
UNICEF (2020) Improving young children’s diets during the complementary feeding period. unicef.org
Victora C, de Onis M, Hallal P et al (2010) Worldwide timing of growth faltering: Revisiting implications for interventions. Pediatrics, 125, 3, e473-e480
WFP (2018) Food and Nutrition Handbook. emergency.unhcr.org
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Teresa Schwendler, Ramatou Hermine, Mohamed Lamine Fofana, Mamady Daffe et Stephen Kodish (2025). Recherche sur la nutrition en Guinée : Diffusion participative des résultats aux niveaux national et infranational. (Strategic Agenda, Trans.) Numéro 74 de Field Exchange. https://doi.org/10.71744/1d3x-tr41 (Œuvre originale publiée 2024)