Retard de croissance & Emaciation en Asie du Sud - Réflexions depuis une conférence régionale
Au fil des années, la portée du travail d'ENN s'est étendue au-delà de l'accent mis initialement sur les contextes humanitaires pour englober un ensemble plus large de problèmes liés à l’émaciation et au retard de croissance dans des contextes d'urgence et/ou des contextes où la prévalence est élevée. Nous sommes de plus en plus intéressés par l'évolution de la politique et de l'environnement de programmation autour du traitement et de la prévention de la malnutrition. ENN est actuellement engagé dans l'exploration de la relation entre l’émaciation et le retard de croissance (voir le récent billet de Carmel Dolan sur le blog ici), le retard de croissance dans les situations d'urgence, et la façon dont les initiatives ciblées sur le retard de croissance et l’émaciation interagissent dans la pratique.
Bien que mon travail avec ENN soit axé sur l’expansion à grande échelle des programmes pour réduire le retard de croissance (dans les pays SUN de la région Asie), l'évolution de l'expansion des programmes de prévention et traitement de la malnutrition aiguë est également intéressante. À la mi-mai, j'ai assisté à la conférence régionale à Katmandou intitulée « Stopper le retard de croissance | Pas de temps à perdre - Elargir l’accès aux soins pour les enfants souffrant d’émaciation sévère en Asie du Sud». Elle a été organisée par SAARC et UNICEF ROSA et a réuni des équipes de 7 pays appartenant à la SAARC (l'Inde était absente de la conférence).
Les estimations conjointes de 2016 sur la malnutrition chez les enfants ont révélé que 52% des 52 millions d'enfants émaciés dans le monde vivent en Asie du Sud et que 9 millions d’entre eux sont sévèrement émaciés. Bien que sa prévalence diminue à un rythme lent, le retard de croissance affecte encore 61,2 millions d'enfants dans cette région.
En Asie du Sud, l'écart entre les enfants nécessitant un traitement spécifique pour la malnutrition aiguë sévère et ceux qui reçoivent un tel traitement est énorme. Les établissements de soins, qui sont essentiels pour traiter les enfants émaciés présentant des complications, sont très limités. La gestion communautaire de la malnutrition aiguë (« community-based management of acute malnutrition » [CMAM]) est mise en œuvre dans seulement 3 pays d'Asie du Sud (Afghanistan, Pakistan, et Népal) et a une couverture limitée. Cela laisse la plupart des enfants sans accès à un traitement spécifique. De plus, la convalescence des enfants traités, qu’elle se fasse dans un établissement de soins ou dans la communauté, ne peut se faire dans des conditions adéquates, puisqu’elle n’est possible que si les enfants et leur entourage ont accès à des aliments, à un environnement propre, et à des services de soins de base.
La réunion qui s’est tenue à Katmandou a pris en compte ces paramètres divers et complexes. Je présente ici quelques remarques qui, de mon point de vue, ont rendu cette rencontre différente de précédentes conférences sur la malnutrition aiguë auquel j’ai pu assister dans la région:
- L’émaciation sévère n'a pas été considérée de façon isolée – Les données recueillies dans la région ont révélé que l’émaciation et le retard de croissance ont en commun 4 causes principales: le faible indice de masse corporelle (IMC) de la mère, les pratiques alimentaires inadéquates et l’alimentation de faible qualité de l’enfant, le faible niveau d'éducation des femmes, et la pauvreté des ménages. Le point de vue articulé lors de cette conférence était que les efforts visant à prévenir l’émaciation devaient être liés à ceux visant à prévenir le retard de croissance et être combinés avec des services et programmes de dépistage précoce et de traitement des enfants sévèrement émaciés.
- Risque de mortalité infantile – Pourtant souvent répété et basé sur des preuves factuelles, l'argument selon lequel les enfants émaciés ont un risque de mortalité 9 fois plus élevé que les enfants en bonne santé n'a pas été mentionné. C'est peut-être dû au fait que les résultats d’enquêtes récentes sur la mortalité dans la région ne sont pas conformes aux données mondiales. J'ai parlé de cette discordance dans un précédent billet de ce blog. Cela contraste fortement avec l’émaciation sévère du contexte africain.
- Situation des adolescents – L’anémie et la sous-alimentation chez les adolescents, le décrochage scolaire, et le fait qu’ils se marient et ont des enfants tôt, sont autant de facteurs reconnus pour leur contribution au retard de croissance et à l’émaciation dans la région. S'attaquer aux besoins en matière de santé et de nutrition des femmes jeunes est essentiel.
- Le continuum des soins – Il y a eu un effort certain et concerté pour remplacer les termes de «gestion» et «traitement» par «soins» pour les enfants sévèrement émaciés. Cela va au-delà de la sémantique – puisque l’attention est attirée sur les déterminants sociaux qui doivent être examinés au-delà du traitement médical de l'enfant et des besoins de soins appropriés à différents niveaux (dans les établissements liés aux services dans la communauté et dans la famille).
- Les approches et les programmes multisectoriels figurent toujours dans les discussions sur la réduction du retard de croissance. En Afghanistan et au Pakistan, les plans multisectoriels et le CMAM sont mis en œuvre en parallèle. Un contraste rafraîchissant est observé au Népal où le CMAM est intégré au Plan de nutrition multisectoriel (« Multi-sectoral Nutrition Plan » [MSNP]).
- L'intégration de CMAM dans les systèmes de santé a été reconnue comme une tâche difficile. Le nombre élevé de cas présente un défi incroyable pour cette région. Il a été précisé que le fait de placer l’émaciation sévère directement au cœur des soins de santé primaires permet de créer un système de gestion intégré des soins centré sur la santé des enfants. Le Népal et le Bangladesh font des efforts pour intégrer le CMAM dans leurs systèmes de santé.
- Gestion intégrée des maladies de l'enfance (« Integrated Management of Childhood Illnesses » [IMCI]) – Un temps mis de côté, IMCI est revenu au-devant de la scène. L'une des composantes de l’IMCI cible la malnutrition aiguë. Une récente revue de la mise en œuvre de l’IMCI a révélé que seulement 28 pays sur 90 avaient développé des programmes contre la malnutrition aiguë.
- Les aliments thérapeutiques prêts à l'emploi (« Ready to Use Therapeutic Food » [RUTF]) ont été discutés même s’il ne s’agissait pas d’un sujet majeur de discussion. Il a été clairement indiqué que les RUTF ne deviennent une nécessité que lorsque la prévention a échoué. Jusqu’à présent, la prévention a échoué pour 9 millions d'enfants dans cette région. Un produit de bonne qualité est essentiel pour un programme mais n'est ni le seul ni le plus important élément d'un programme communautaire pour lutter contre l’émaciation sévère. D’ici la fin de l'année, il est prévu que le Bangladesh commence à tester l'efficience de RUTF fabriqués localement par icddr,B. Des essais cliniques ont déjà montré que les deux variétés du produit local (Type 1 avec riz et lentilles et Type 2 avec des pois chiches) sont aussi efficaces que le RUTF standard.
Les discussions ont soulevé plusieurs questions, en particulier concernant le manque de consensus sur les méthodes de dépistage, le manque de données fiables sur la couverture d’accès aux traitements, l'insécurité alimentaire, la saisonnalité et la fréquence des catastrophes naturelles et leurs implications dans la prévalence de l’émaciation.
Une réflexion sur ce qui entrave l’implémentation à grande échelle du CMAM dans la région – Parce que certaines parties prenantes en Inde et en Asie du Sud perçoivent le RUTF comme une solution rapide et une formule magique qui n’a pas d'impact durable, elles résistent aux efforts visant à déployer des programmes basés sur ces aliments. Cependant, ceux qui préconisent l'utilisation des RUTF ne les voient ni comme des formules magiques ni comme des aliments à utiliser de façon isolée, mais comme l'un des nombreux éléments de la gestion communautaire de la malnutrition aiguë.
Pour surmonter cet obstacle, une réunion d'experts techniques de cette région est nécessaire pour élaborer des lignes directrices claires, fondées sur des preuves factuelles, et sensibles aux contextes variés de la région. Nous espérons sincèrement que les décideurs politiques indiens et les professionnels sur le terrain seront conviés à cette table ronde. Pour lutter contre le retard de croissance, en plus d’intensifier les interventions sensibles à la nutrition, l’implémentation à grande échelle de traitements spécifiques contre l’émaciation ne doit pas être oubliée. Il n'y a pas de temps à perdre.
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